Il n'existe pas de document exhaustif
sur les argumentations favorables ou défavorables à la licéité ou
à l'illicéité de l'arme nucléaire française, du point de vue de sa
doctrine stratégique et de son organisation politique, I en droit
international et II en droit constitutionnel. Notre étude entend combler
cette lacune par l'examen de la validité du décret n°96-520 du 12
juin 19961, succédant
au décret n°64-46 du 14 janvier 19642,
qui régit l'emploi des forces nucléaires françaises. Les griefs formulés
devant la Cour internationale de Justice (avis consultatif du 8 juillet
1996) et devant le Conseil d'Etat (arrêt Lavaurs du 8 décembre 1995)
constituent le point de départ de la recherche.
1) La France, l'arme nucléaire, le droit
Ayant fondé sa sécurité sur l'atome,
la France ne peut admettre que l'arme nucléaire soit stigmatisée,
ni même dévalorisée politiquement, stratégiquement, juridiquement
ou moralement. Que vaudrait la dissuasion si le gouvernement auteur
de la menace nucléaire devait admettre que celle-ci est interdite
par le droit international ? Or, l'arme nucléaire fait l'objet de
puissantes tentatives de disqualification, tant sur le plan politico-stratégique3
que juridico-moral. La pratique de la dissuasion -largement acceptée
en France4
mais largement dénoncée ailleurs- suppose la licéité de la menace
ou de l'emploi des armes atomiques. Or, cette présomption est fortement
contestée par les adversaires de la dissuasion nucléaire. Avec la
résolution du chef politique, la légitimité de l'arme et le consensus
de l'opinion publique, qui permet de convaincre le Parlement de voter
les crédits nécessaires, sont les éléments essentiels de la crédibilité
politique de la stratégie de dissuasion. Que devient cette légitimité
depuis l'effondrement de l'URSS, l'adversaire désigné, et face au
mouvement international de désarmement nucléaire ou de lutte contre
la prolifération des armes de destruction massive (ADM) ? Que devient
le " consensus national " sur l'atome (tant militaire que civil) ?
La force de conviction de la dissuasion venait de la cohérence entre
la situation objective du rapport des forces et la posture stratégique
retenue : la France avait un ennemi qui lui était supérieur tant conventionnellement
que nucléairement ; mais en raison de son " pouvoir égalisateur ",
l'atome restituait à notre pays une capacité de défense d'une efficacité
jugée sans équivalent. La fin de la guerre froide a rendu caduc ce
raisonnement -qui ne préjugeait d'ailleurs en rien de la licéité de
la dissuasion- : s'il n'y a plus d'ennemi, le mode stratégique dissuasif
reste-t-il pertinent ? Qui dissuader, de quelles actions, quand et
comment ? La dissuasion ne fonctionne bien que lorsqu'il y a un adversaire
clairement identifié et qu'on pourrait qualifier " d'absolu ", la
dissipation de la menace contribuant à diminuer le rôle de l'arme
nucléaire. Comment justifier la nécessité d'une dissuasion, oligopoliste
et discriminatoire, de plus en plus récusée à l'étranger ? Comment
légitimer la possession et l'emploi d'une arme dont la fragilité des
bases juridiques contraste avec l'ampleur de la dénonciation internationale
? Le combat juridique pour ou contre la licéité de l'arme nucléaire
est un combat politique, et vice-versa, car la légitimation de la
dissuasion fait partie de la stratégie de dissuasion, laquelle a une
dimension normative.
En tant que puissance nucléaire moyenne,
la France est à la fois vulnérable, puisqu'elle s'expose au risque
du " bris de veto " malgré les stipulations de l'article 27-3 de la
Charte des Nations Unies, et isolée, comme l'ont montré les débats
devant la Cour internationale de Justice (CIJ) en 1995, ou, plus avant,
les négociations sur le droit des traités en 1969 et sur le droit
humanitaire applicable aux conflits armés en 1977. Elle fut, pour
des raisons liées à la pratique de la dissuasion nucléaire, le seul
Etat membre de l'OTAN (avec la Turquie), le seul Etat européen, le
seul Etat membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies
(avec la Chine), à n'avoir signé ni la convention de Vienne de 1969
ni le protocole additionnel I de 1977 aux conventions de Genève de
1949 relatif aux conflits armés internationaux5.
Or, on sait qu'en droit international, la souveraineté doit se soucier
des alliances : vae soli ! Cet isolement juridique reflète un isolement
stratégique. La France, du fait de la limitation de ses capacités
de défense classiques, est le seul Etat doté d'armes nucléaire (EDAN)
à adhérer officiellement à une stratégie anticités d'emploi en premier
de l'arme atomique en riposte à une attaque classique. Les Etats-Unis,
eux, grâce à leur supériorité conventionnelle-technologique, tendent
à souscrire à une stratégie de non-emploi en premier (no first use)
c'est-à-dire à la doctrine selon laquelle l'arme nucléaire ne peut
être utilisée qu'en réponse à une attaque nucléaire. Du moins entretiennent-ils
l'ambiguïté sur leur riposte nucléaire à une attaque conventionnelle,
pour garder leur liberté d'action, mais aussi en raison des doutes
sur la licéité d'une telle riposte. Parallèlement, ils invoquent la
précision des armes et ils soutiennent, avec la Grande-Bretagne, la
possibilité d'une " guerre nucléaire limitée " qui substituerait les
options antiforces, contre-valeurs ou contre-C3I6
à l'option anticités. La Chine, de son côté, adhère depuis longtemps
au no first use et à une doctrine de dissuasion contre-forces et contre-valeurs
(bien qu'elle n'en ait pas les moyens technologiques). La Russie,
enfin, a certes renoncé au no first use, mais pas à la stratégie contre-forces
et contre-valeurs. La récusation de la riposte atomique à une attaque
classique étant le plus petit dénominateur commun des tenants de l'illicéité
de l'emploi des armes nucléaires et de ceux qui font dépendre cette
licéité du respect du jus in bello -c'est-à-dire tous les Etats sauf
la France-, la doctrine française est de loin la plus vulnérable et
la plus exposée à la contestation antinucléaire internationale. C'est
pourquoi elle en est la cible privilégiée, au moins à titre " préliminaire
".
Les alignements opérés lors de la procédure
devant la CIJ ont été extrêmement révélateurs. La Chine n'a pas participé
aux débats, pas plus que le Pakistan ou Israël7.
Seuls six Etats ont osé soutenir, dans la phase orale, que les armes
nucléaires étaient licites, quatre EDAN, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne,
la Russie et la France -mais l'argumentation de la délégation française,
isolée, différait de celle des trois autres pays-, plus l'Allemagne
et l'Italie. Ils étaient un peu plus nombreux lors de la phase écrite.
On a noté le silence d'un grand nombre de pays de l'Alliance atlantique
ou de l'Union européenne ; certains, comme la Suède, s'étant même
prononcés contre la licéité8,
avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Japon. Alors qu'en France,
la procédure devant la Cour n'a guère eu de retentissement en dehors
des milieux spécialisés, les audiences ont été télévisées et largement
diffusées dans d'autres pays. La presse allemande a réagi très négativement
à la prise de position du représentant de Berlin en faveur de la licéité,
ce qui en dit long sur l'état de l'opinion publique de l'un des principaux
membres de l'Union européenne. Il ne fait pas de doute que si les
Etats-Unis, hostiles au " pouvoir égalisateur de l'atome ", se ralliaient
à une offensive associant les Etats non dotés d'armes nucléaires (ENDAN)
-Etats non alignés du " Sud " ou Etats antinucléaires du " Nord "-,
les organisations internationales et les organisations non gouvernementales
(ONG), le statut de l'atome militaire français s'en trouverait fortement
déstabilisé.
La dénonciation du nucléaire militaire
(et civil) va croissante depuis Tchernobyl, relayée par les associations
de juristes, de médecins ou de scientifiques, les ecclésiastiques,
la mouvance pacifiste et écologiste, les partis communistes ou rebaptisés,
le mouvement Pugwash9
et la commission de Canberra10,
qui exigent l'abolition des armes atomiques (et l'élimination des
matières fissiles) pour aboutir à un Nuclear Weapon Free World. Le
problème qui se pose donc aujourd'hui au nucléaire militaire en général
et français en particulier, est celui de son acceptabilité au regard
des opinions publiques et de sa licéité en droit international et
droit interne. La question de la relation entre l'atome et le droit
est restée pour l'essentiel une question théorique en France... jusqu'à
ce que deux procédures judiciaires quasi simultanées, quoique de très
inégale importance et répercussion, aient mis la question du statut
juridique de l'arme nucléaire en général et française en particulier,
au centre de l'actualité internationale et constitutionnelle. Ces
deux procédures, l'une (retentissante) devant la CIJ (du 14 septembre
1993 au 8 juillet 1996)11,
l'autre (discrète) devant le Conseil d'Etat (du 26 juin 1992 au 8
décembre 1995)12
se déroulèrent parallèlement aux négociations (entamées le 17 avril
1994 et conclues le 12 mai 1995) sur la prorogation indéfinie du traité
de non prolifération des armes nucléaires (TNP) -traité auquel la
France avait fini par adhérer le 1er juillet 1992- et parallèlement
à la reprise des essais atomiques français dans le Pacifique, décidée
par le Président Chirac le 13 juin 1995. Cette décision donna également
lieu à une contestation judiciaire française, européenne et internationale.
Mais celle-ci tourna court13,
le gouvernement français s'était engagé après cette ultime série de
tirs à adhérer au traité d'interdiction complète des essais nucléaires
(TICEN), ouvert à la signature le 24 septembre 199614
et ratifié par la France le 27 mars 1998. Enfin, six mois après l'arrêt
du Conseil d'Etat et deux mois avant l'avis de la Cour internationale
de Justice, un nouveau décret portant détermination des responsabilités
concernant les forces nucléaires, décret pris en Conseil des ministres
le 12 juin 1996, remplaçait le décret simple du 14 janvier 1964 relatif
aux forces aériennes stratégiques, sans rien changer sur l'essentiel
mais en comblant ses lacunes.
A chaque fois, ce sont des associations
de droit privé -sorte d'actio popularis- qui ont été à l'origine des
procédures judiciaires. En effet, les deux avis consultatifs de la
CIJ sur la licéité de la menace ou de l'emploi des armes atomiques,
le premier demandé par l'Assemblée de l'Organisation mondiale de la
Santé (OMS) dans sa résolution WHA46.40 du 14 mai 1993 -demande à
laquelle la Cour n'a pas fait suite au motif de l'incompétence de
l'OMS à traiter cette question-, le second par l'Assemblée générale
des Nations Unies (AGNU) dans sa résolution 49/75 K du 15 décembre
1994 -demande à laquelle la Cour a finalement répondu par un non liquet-15,
sont largement issues du lobbying réussi d'ONG antinucléaires auprès
des organisations internationales. Plus précisément, les résolutions
de l'OMS et de l'AGNU sollicitant un avis de la CIJ sont l'aboutissement
du World Court Project mené depuis 1992 par l'International Association
of Lawyers Against Nuclear Arms, afin de faire proclamer par la Cour
l'illicéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires et de faire
pression sur les EDAN en amenant le juge international à un engagement
politique en faveur de la proscription desdites armes. Au World Court
Project a logiquement succédé depuis 1996 l'Abolition 2000 Project...,
réseau comprenant plus de 1500 associations réparties dans plus de
cent pays.
Dès 1961, l'AGNU avait commencé à adopter,
de manière répétitive et constante, la série de résolutions condamnant
l'emploi ou la menace d'emploi des armes atomiques comme un " crime
contre l'humanité ", résolutions auxquelles s'opposaient les puissances
nucléaires et leurs alliés. De 1974 à 1977, la négociation du protocole
additionnel I aux conventions de Genève de 1949, occasionnant le premier
débat véritablement noué sur l'articulation entre droit international
et arme nucléaire, avait été marquée par la mise en demeure très ferme
des EDAN, conditionnant leur participation à la négociation et leur
adhésion au traité, à la non application du protocole aux armes atomiques.
En 1995, la discussion sur la prorogation indéfinie du TNP fut sans
doute le dernier épisode de l'époque caractérisée par la séparation
entre le débat sur le désarmement ou le contrôle des armements et
celui sur la licéité des armes litigieuses. La procédure devant la
CIJ a en effet porté au plan judiciaire le débat politique sur les
conditions d'exercice de la menace et de l'emploi éventuel des armes
atomiques, voire sur leur existence même. De l'aveu de M. M. Perrin
de Brichimbaut, représentant de la France devant la Cour de La Haye,
telle est la grande réussite qu'ont obtenu les ONG et les Etats membres
des Nations Unies hostiles à l'atome militaire : l'effacement du cloisonnement
entre le droit de la guerre et l'arme nucléaire. Dans son avis du
8 juillet 1996 donné à l'AGNU, la CIJ n'a certes pas conclu de façon
définitive à la licéité ou à l'illicéité de la menace ou de l'emploi
de cette arme en cas extrême de légitime défense (par.E du dispositif
de l'avis), mais elle a rappelé et souligné l'obligation de désarmement
prévu à l'article 6 du TNP, transformant une obligation de comportement
en une obligation de résultat (par.F). Autrement dit, selon l'interprétation
de la Cour, les armes atomiques (de lege ferenda aujourd'hui, de lege
lata demain) sont juridiquement " en sursis ", " provisoires " ou
" dérogatoires " au droit commun. C'est donc bien la légitimité de
leur statut qui est atteinte. Si l'objection persiste en droit positif
du fait de la favor potestatis qui créerait l'illusion de la licéité
de la stratégie nucléaire, l'évolution du droit international entraînerait
l'incrimination de cette stratégie, notamment via l'obligation de
désarmement rappelée à La Haye.
L'arrêt du Conseil d'Etat statuant au
contentieux a déclaré irrecevables, pour défaut d'intérêt à agir,
les requêtes de M. P. Lavaurs et de l'Association pour le désarmement
nucléaire. Celles-ci demandaient au Premier ministre d'abroger le
décret du 14 janvier 1964 relatif aux forces aériennes stratégiques
(FAS), et au secrétaire général de la défense nationale (SGDN) de
prendre les dispositions nécessaires pour empêcher le Président de
la République de donner l'ordre d'engagement des forces nucléaires
(en coupant les systèmes de communication entre le poste de commandement
" Jupiter " du palais de l'Elysée et le Centre opérationnel des Armées,
ainsi que les PC de Taverny et du Mont-Verdun, ou tout autre dispositif
de communication susceptible de transmettre l'ordre d'engagement aux
commandants des forces aériennes stratégiques, des forces océaniques
stratégiques [FOST] ou des forces préstratégiques). Lesdites requêtes
tendaient à l'annulation des décisions de rejet nées du silence gardé
pendant quatre mois sur ces demandes par le Premier ministre et par
le secrétaire général (le SGDN étant l'organisateur des systèmes de
communication entre la Présidence de la République et les commandements
militaires des forces nucléaires). Pour la première fois de son histoire,
le nucléaire militaire français a donc fait l'objet d'une procédure
contentieuse. Dans son arrêt du 8 décembre 1995, le Conseil d'Etat
n'a certes pas examiné au fond la validité du décret litigieux, vigoureusement
contestée par les requérants, qui s'étaient attachés à en démontrer
l'illégalité au regard des règles applicables du droit international
et du droit constitutionnel. Mais il a désavoué le ministre de la
Défense et le Premier ministre en qualifiant d'" acte administratif
", et non d'" acte de gouvernement ", le décret de 1964 -donc celui
de 1996-, avec les conséquences juridiques qu'emporte cette définition.
Après ces premiers éléments -conventionnels,
réglementaires et jurisprudentiels- de refondation juridique de l'arme
nucléaire depuis la fin de la guerre froide, quelle est la situation
de l'atome militaire français en droit ? Qu'en est-il de sa légalité
et de sa légitimité ? Quelle est la validité juridique de la doctrine
stratégique définie depuis Le Livre blanc sur la défense de 1972 et
réaffirmée par celui de 1994 ? Quelle est la validité juridique de
l'organisation politique définie par le décret du 12 juin 1996 remplaçant
celui du 14 janvier 1964, seul texte régissant l'emploi des forces
nucléaires ? Cette organisation politique -centrée sur le pouvoir
de décision discrétionnaire du chef de l'Etat- a pour objet d'assurer
l'efficacité de la doctrine stratégique -la dissuasion par la menace
de représailles massives en cas d'agression armée-, mais cette doctrine,
en retour, justifie ladite organisation, la dissuasion nucléaire légitimant
l'autorité présidentielle. La validité étant un rapport de conformité
ou de compatibilité entre ce qui est -la positivité, plus ou moins
contestable- et ce qui doit être -la normativité, plus ou moins exploitable
selon les possibilités d'interprétations-, on confrontera cette doctrine
stratégique et cette organisation politique, mises en oeuvre par le
décret de 1964-1996, aux prescriptions pertinentes du droit international
et du droit constitutionnel en vigueur, ce dernier examen incluant
les conséquences de la primauté des engagements internationaux sur
la législation interne.
On se placera dans la perspective théorico-juridique
suivante. A valeur juridique une norme valide et effective. Juridicité
= normativité + positivité ; droit = validité (conformité) + effectivité
(efficacité). Le droit effectivement appliqué, c'est-à-dire efficace,
est le droit " positif " ; le droit conformément posé, c'est-à-dire
valide, est le droit " normatif " ; pour qu'il y ait droit au sens
plein, il faut que soient réunis " positivité " et " normativité ",
effectivité et validité, Sein et Sollen. Le droit " positif " ou effectif
-celui qui est édicté par les autorités habilitées et qui est en vigueur-
est-il valide ? Le droit " normatif " ou valide -celui qui doit être
édicté par les autorités habilitées et qui doit être en vigueur- est-il
efficace ? Telles sont les deux questions qu'un juriste doit se poser
et auxquelles il doit répondre. Si le droit est toujours " obligatoire
"16,
il n'est pas forcément " valable " ; inversement, un droit " valable
", quoique théoriquement " obligatoire ", n'est pas forcément " effectif
" en pratique. Le rôle du juriste étant d'analyser le droit dans son
double rapport de validité et d'effectivité, c'est-à-dire le droit
en tant que système normatif et le droit en tant que système positif,
il s'ensuit deux types d'examen : l'examen de la validité, c'est-à-dire
l'examen de la conformité du droit positif à la norme de référence,
et l'examen de l'efficacité, c'est-à-dire l'examen de l'effectivité
de la norme de référence en droit positif. La validité permet ainsi
de distinguer les normes qui doivent s'imposer au respect de leurs
destinataires, puisque obligatoires et valables, des autres normes,
qui doivent être obéies selon le principe de l'obéissance préalable
mais qui n'auraient pas à l'être, précisément parce qu'elles ne sont
pas valables. L'effectivité, elle, permet de distinguer les normes
qui s'imposent et celles qui ne s'imposent pas, qu'elles soient valables
ou non, qu'obéissance leur soit due ou non. Ainsi, le décret du 12
juin 1996 succédant à celui du 14 janvier 1964 est un acte administratif
en vigueur depuis son émission17,
il est effectif et opposable aux administrés. Mais cette effectivité
et cette opposabilité n'emportent pas nécessairement sa validité au
regard des normes supérieures du droit applicable, tant international
qu'interne. Si l'on admet que juridiquement, seul compte le texte
de référence -la norme supérieure-, on en conclura qu'une pratique
-fixée par une norme inférieure- contraire à ce texte, bien qu'effective,
n'a pas de valeur normative. Le problème est alors de savoir si l'on
est en présence d'une pratique dénuée de validité ou bien d'une règle
dénuée d'efficacité voire de praticabilité18.
2) La doctrine stratégique du nucléaire
militaire français
L'analyse sommaire de la stratégie nucléaire
en général et française en particulier est un préalable nécessaire
à l'appréciation du décret du 12 juin 1996 succédant à celui du 14
janvier 1964 qui réglemente les conditions d'engagement des forces
nucléaires.
La première époque de l'arme atomique,
celle de la bipolarité, est révolue. Il faut s'habituer à penser cette
arme dans un contexte multipolaire et la disjoindre du système de
la guerre froide auquel elle était associée de 1945 à 1990. A la "
dissuasion mutuelle " Est/Ouest et à l'overkill tendent à se substituer
la " dissuasion tous azimuts ", en l'absence d'ennemi principal désigné,
et la " stricte suffisance ". Parallèlement, la prolifération balistico-nucléaire
a remplacé la confrontation nucléaire soviéto-américaine comme préoccupation
première du contrôle des armements et transferts d'armements19.
Ces mutations stratégiques ont trouvé leur traduction juridique dans
une série d'instruments conventionnels, qui font l'objet d'un conflit
d'interprétation, ainsi devant la CIJ en 1993-1996. Constituent-ils
un " droit de la dissuasion " (oligopoliste et discriminatoire) ou
annoncent-ils un " droit du désarmement " (universel et égalitaire)
? La Cour a tranché dans ce dernier sens dans le paragraphe F de son
avis20.
L'arme nucléaire est une arme de dissuasion, mais elle peut être aussi
une arme de chantage ou de coercition, ainsi qu'une arme de guerre
(défensive ou offensive). Si l'on s'en tient à un usage défensif,
quatre hypothèses concrètes se présentent : soit une riposte nucléaire
à une attaque conventionnelle (logique de dissuasion du faible au
fort), soit une riposte nucléaire à une attaque conventionnelle en
cas de situation militaire défavorable (logique de guerre du faible
au fort), soit une riposte nucléaire à une attaque nucléaire (logique
de dissuasion du fort au fort), soit une riposte nucléaire à une attaque
nucléaire en cas de situation militaire défavorable (logique de guerre
du fort au fort). Si on se limite à la perspective de la dissuasion
(à la perspective favorable à la dissuasion), l'arme nucléaire a pour
rôle principal de prévenir la guerre. Elle a également pour rôles
subsidiaires de maintenir l'équilibre militaire des puissances (en
Europe, rendre impossibles tout chantage nucléaire de Moscou ou tout
conflit conventionnel entre le pôle russe et le pôle ouest-européen
du continent), de contenir l'intensité et l'extension des conflits
régionaux (en Europe ou hors d'Europe, obliger un adversaire disposant
d'armes de destruction massive à restreindre l'usage de sa force et
à borner ses entreprises au théâtre des opérations, sans chercher
à obtenir un avantage compensatoire en exerçant une menace contre
les sanctuaires nationaux), de prévenir l'escalade de la violence
durante bello (limiter les buts de guerre et les buts dans la guerre
ainsi que les moyens de destruction utilisés). D'autre part, l'arme
nucléaire ne relève pas seulement des intérêts nationaux ou des traités
d'alliance, mais aussi de la " sécurité collective ", avec les conséquences
que cela devrait impliquer sur la planification stratégique. Aux assurances
négatives de sécurité21
données par la Chine (sans réserve), la Grande-Bretagne (depuis 1978),
les Etats-Unis (1978), la France (1982) et la Russie (1993) -selon
lesquelles ces pays s'engagent à ne pas utiliser ou menacer d'utiliser
d'armes nucléaires contre les ENDAN parties au TNP sauf en cas d'attaque
par un ENDAN en alliance ou en association avec un EDAN contre leur
territoire ou leurs forces ou contre leurs alliés ou Etats envers
lesquels ils auraient des obligations d'assistance-, les cinq membres
permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU)22
ont ajouté des assurances positives de sécurité23
en s'engageant à ce que le Conseil, conformément aux obligations de
la Charte, prenne les mesures immédiates appropriées en vue de porter
secours aux ENDAN parties au TNP qui seraient victimes d'un acte ou
d'une menace d'agression mené avec l'arme nucléaire.
Du point de vue français, l'arme nucléaire24
confère une liberté d'action, une place de premier rang dans la hiérarchie
des puissances et une assurance-vie pour la nation, car elle rend
effective la garantie de l'intégrité territoriale et de l'indépendance
politique, du moins vis-à-vis de toute menace politico-militaire extérieure.
La doctrine française25
consiste toujours à dissuader un agresseur d'entreprendre une action
militaire, nucléaire ou conventionnelle, contre nos intérêts vitaux,
par la menace communiquée de représailles exorbitantes assurées par
une capacité de destruction opérationnelle. Elle a pour cela mis l'accent
sur le caractère réellement utilisable des armes, en privilégiant
l'option anticités, d'abord parce qu'une stratégie antiforces nécessite
des moyens bien supérieurs à ceux dont peut se doter une puissance
moyenne comme la France, ensuite parce que la dissuasion repose sur
la crainte que doit avoir l'adversaire de l'ampleur des dommages que
lui causerait la riposte nucléaire. Pourtant, selon certains, la licéité
voire la crédibilité de la dissuasion ne s'accordent pas ou plus au
concept de frappe anticités, mais nécessitent des armes à effets collatéraux
réduits, aptes aux options contre-valeurs (visant les industries),
contre-C4IL (visant les centres de control, command, communications,
computer, intelligence, logistics) ou contre-leadership (visant les
centres de décisions politiques, administratifs et militaires). Mais,
officiellement, ces options nécessitent un degré de précision encore
impossible à atteindre, et surtout, si elles apparaissent plus conformes
au droit de la guerre, elles tendent à substituer une doctrine d'emploi
" réel " à la doctrine d'emploi " virtuel " qu'est la dissuasion anticités26.
Emploi " virtuel " car elle a pour but la non guerre et pour moyen
la préparation à la guerre qu'il s'agit d'éviter. La manoeuvre dissuasive
implique la volonté d'utiliser l'arme atomique, la crédibilité de
la dissuasion reposant sur l'intention déclarée d'employer l'arme
avec efficacité. Selon la politique française déclarée -et, on peut
le supposer, selon les plans d'emploi-, le chef de l'Etat, avant de
donner éventuellement l'ordre d'engager les forces nucléaires stratégiques,
déciderait une frappe d'avertissement au moyen d'armes " préstratégiques
", destinée à signaler à l'agresseur la détermination de la France
à lui infliger, sur son territoire, des représailles massives, s'il
devait persister dans son entreprise. Il s'ensuit que l'autorité politique
doit disposer à tout moment de moyens militaires suffisants, sûrs
et prêts, et se trouver en mesure de les utiliser sans délai ni obstacle.
Comme l'écrivaient M. P. Lavaurs et l'Association pour le désarmement
nucléaire au Conseil d'Etat, le décret du 14 janvier 1964 (comme celui
du 12 juin 1996) a bien pour objet d'organiser, de manière opérationnelle,
le bombardement atomique éventuel de populations civiles urbaines,
avec pour objectif leur anéantissement par millions27.
3) L'organisation politique du nucléaire
militaire français
La défense nucléaire et son droit s'inscrivent
dans le cadre de l'appareil de défense nationale et de son droit,
dont ils constituent le noyau. Quels sont les fondements et structures
juridiques de l'organisation de la défense nationale ? Toute constitution
comporte des dispositions concernant la défense nationale. Ces dispositions
sont de deux sortes : celles qui fixent les attributions des différents
pouvoirs publics ; celles qui déterminent les sujétions imposées aux
citoyens.
La Déclaration de 1789, intégrée au
bloc de constitutionnalité avec le Préambule de 1946 et les " principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République " (PFLR), comporte
quatre dispositions applicables à la mission et aux moyens de la défense.
La mission est de défendre les droits de l'homme et du citoyen -la
" sûreté " étant l'un de ces droits, terme qui recouvre l'ensemble
des protections que les citoyens sont en droit d'attendre de l'Etat,
au premier rang desquelles la défense de la communauté- ainsi que
la souveraineté de la nation (art.2 et 3), au moyen d'une force publique
organisée et financée (art.12 et 13). La constitution de 1958 proclame,
elle aussi, les droits de la personne et la souveraineté de la nation
(préambule alinéa 1, art.2-5 et 3-1). Elle fait de l'indépendance
nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités
(art.5-2) une norme garantie par le Président de la République " dictateur
commissarial " (art.16), " chef des armées " et président des " conseils
et comités supérieurs de la défense " (art.15), qui " nomme aux emplois
civils et militaires de l'Etat " (art.13-2 et 13-3) et qui négocie
les traités (art.52). Via l'obligation du contreseing (art.19), cette
norme est également garantie par le Premier ministre " responsable
de la défense nationale ", qui " supplée le cas échéant le Président
de la République dans la présidence des conseils et comités prévus
à l'article 15 " et " sous réserve des dispositions de l'article 13,
exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires
" (art.21-1, 21-3 et 37-1). Ladite norme est encore garantie par le
gouvernement, dont les membres contresignent les actes du Premier
ministre (art.22), gouvernement qui " détermine et conduit la politique
de la nation ", " dispose de l'administration et de la force armée
" (art.20-2) ainsi que de tous les pouvoirs de crise prévus par la
législation. Quant au Parlement, il autorise la prorogation de l'état
de siège (art.36-2), la déclaration de guerre (art.35), la ratification
ou l'approbation des traités (art.53) ; il vote les lois de finances
ou de programme (art.34-4 et 47) et celles déterminant " les principes
fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale "
(art.34-3). Le texte de la constitution ne parle pas en faveur du
chef de l'Etat, même après la révision de 1962. Certes, le chef de
l'Etat préside le Conseil des ministres (art.9) ; il est le " chef
des armées " et le " garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité
du territoire et du respect des traités ", trois titres non dispensés
du contreseing ministériel ; l'article 16 lui confère la responsabilité
de la survie de la nation et la plénitude des pouvoirs en cas de crise
majeure. Mais c'est le Premier ministre qui est responsable de la
défense ; c'est le gouvernement parlementaire (art.20-3, 49, 50) qui
détermine et conduit la politique du pays -y compris sa politique
étrangère et de défense-, et qui dispose de la force armée ; c'est
le Parlement qui vote les crédits militaires et qui a la compétence
d'organiser dans ses grandes lignes la défense nationale.
La très relative ambiguïté de la constitution
avait été levée par l'ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 portant
organisation générale de la défense, acte législatif pris par l'exécutif
en vertu de l'ancien article 92 de la constitution. Cette ordonnance,
toujours en vigueur, fut l'oeuvre de Michel Debré et des ministres
d'Etat du général de Gaulle, non du général lui-même. Elle fait du
Premier ministre, non du Président de la République, le pivot de la
défense, sans toutefois lui interdire de déléguer ses pouvoirs aux
ministres et en laissant au gouvernement la liberté de remanier l'organisation
de la défense. Ce sont les décrets du 18 juillet 1962 et, surtout,
celui du 14 janvier 1964, puis la pratique politique fondée sur l'interprétation
" extensive " des articles 5, 6, 9, 15 ou 16 de la constitution, qui
ont renversé les choses en faveur du chef de l'Etat, au point que
de nombreux auteurs parlent d'une " coutume " qui prévaudrait contre
les textes de la constitution de 1958 et de l'ordonnance de 1959.
Tout en restreignant au minimum le contenu
des " principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense
nationale " réservés au législateur et en étendant par là-même la
compétence du pouvoir réglementaire (attribué au Premier ministre),
cette ordonnance ne traite que brièvement et incidemment du rôle du
Président de la République, se bornant à reprendre les dispositions
de l'article 15 de la constitution sans jamais faire allusion expressément
à l'article 16. En revanche, son article 9 stipule : " le Premier
ministre, responsable de la défense nationale, exerce la direction
générale et la direction militaire de la défense. A ce titre, il formule
les directives générales pour les négociations concernant la défense
et il suit le développement de ces négociations. Il décide de la préparation
et de la conduite supérieure des opérations et assure la coordination
de l'activité en matière de défense de l'ensemble des départements
ministériels ". Arbitre et coordonnateur de l'action gouvernementale,
il est le chef militaire de la nation : c'est " dans le cadre de ses
directives " ou " sous son autorité " que travaillent le ministre
des Armées, chargé de l'exécution de la politique militaire (art.16),
le Comité d'action scientifique de la défense nationale (art.11),
le Comité interministériel du renseignement (art.12), et chacun des
ministres ayant le contrôle d'une quelconque activité de défense (art.15).
Le Comité de défense et le Comité de défense restreint, présidés par
le chef de l'Etat -mais le chef du gouvernement peut le suppléer-
et composés des principaux ministres (Armées, Affaires étrangères,
Intérieur, Finances), ont pour mission d'assister le Premier ministre
dans la coordination interministérielle des activités de défense.
Enfin, l'ordonnance de 1959 ne donnant aucune indication sur l'organisation
militaire centrale de la défense nationale, c'est le décret n°59-262
du 7 février 1959 qui attribua à un chef d'état-major général, lui
aussi placé sous les ordres du Premier ministre, le rôle de coordinateur
militaire de la défense. Les décisions sont prises dans, et non par,
les Comités : elles sont donc prises, l'article 9 ne laisse sur ce
point aucun doute, par le Premier ministre, même s'il ne préside pas
ces Comités où il doit décider. On ne peut imaginer que les constituants
et les rédacteurs de l'ordonnance n'aient pas vu la contradiction
virtuelle entre le fait de confier la présidence des conseils et comités
de défense au Président de la République et le fait d'investir le
Premier ministre du pouvoir de décision. Mais ils ne pouvaient retirer
au chef de l'Etat, dont on cherchait à accroître le rôle, la fonction
traditionnelle de président de ces conseils et comités, ni transgresser
le principe selon lequel c'est le chef du gouvernement qui est responsable
de la défense du pays28.
Deux solutions se présentaient en 1962
: soit confirmer le pouvoir de direction du Premier ministre, soit
lui substituer celui du Président de la République. Après la concentration
à l'Elysée des compétences relatives à la politique algérienne, ce
sont quatre décrets pris le 18 juillet 196229
remplaçant l'organisation établie par une autre totalement différente,
qui firent pencher la balance du côté du chef de l'Etat. Avec le remplacement
de M. Debré par Georges Pompidou et l'abdication par le chef du gouvernement
de ses prérogatives en matière de défense, l'économie générale de
la nouvelle organisation va rigoureusement au rebours de celle de
1959, le transfert du pouvoir militaire au Président répondant au
déssaisissement du Premier ministre. Le décret n°62-808 fixe les responsabilités
de chacun des échelons chargés de la politique générale de défense
: Conseil des ministres, Conseil de défense, Premier ministre et SGDN,
ministre des Armées, autres ministres, commandants opérationnels.
Cette politique est définie en Conseil des ministres. Les conseils
et comités de défense " réunis et présidés par le Président de la
République " (et non plus, comme en 1959, par le Premier ministre)
assurent la direction d'ensemble de la défense et, le cas échéant,
la conduite de la guerre (art.1). Le Premier ministre assure la mise
en oeuvre des décisions prises par le gouvernement (art.2). Le ministre
des Armées est chargé de la gestion, de l'organisation et de la préparation
des forces (art.3), attributions précisées par le décret n°62-811,
qui place le ministre sous l'autorité du chef du gouvernement (art.1)
et qui met à sa disposition les états-majors des armées (art.5).
C'est avec le décret n°64-46 du 14 janvier
1964 que le rôle suréminent du Président de la République dans la
direction de la défense nationale fut officiellement reconnu. Ce texte
crucial -que laissaient prévoir la conférence de presse du général
de Gaulle du 15 janvier 1963 ou l'article de Pierre Messmer paru dans
la Revue de Défense nationale en mai 1963- stipule que la mission,
l'organisation et les conditions d'engagement des FAS sont arrêtées
en Conseil de défense (art.1). Mais il appartient au seul chef de
l'Etat " président du Conseil de défense et chef des armées ", de
donner l'ordre d'engagement (art.5), sans autorisation parlementaire
ni contreseing ministériel. Le rôle du Premier ministre se borne à
" l'application des mesures générales à prendre en vertu des décisions
" du Conseil30.
Ce décret qui a été abrogé le 12 juin
1996 aura régi pendant plus de trente ans l'organisation des responsabilités
concernant les forces nucléaires, traversant les alternances et les
cohabitations. Le changement de texte répond à un souci d'adaptation,
il corrige les lacunes de l'ancien décret, et donc renforce la dissuasion
; en même temps, il est marqué par une très forte permanence des principes
mis en application. Le décret de 1964 ne portait que sur les FAS alors
que, depuis cette date, les forces nucléaires se sont diversifiées,
avec l'apparition des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE),
du groupement des missiles sol-sol du plateau d'Albion (GMS), des
missiles " tactiques " ou " préstratégiques " Pluton et Hadès. Autant
de systèmes d'armes régis par les mêmes procédures techniques que
les FAS, mais qui étaient dépourvus de base légale, n'étant couverts
que par de simples instructions militaires. Le décret de 1996 comble
ou plutôt ne fait que combler un silence, car il n'est pas douteux
qu'il ne modifie en rien la réalité : il prend acte de la diversification
des armes nucléaires en confirmant le pouvoir discrétionnaire du Président
de la République. En effet, les éléments de la force de frappe non
couverts par le décret de 1964 relevaient également de la compétence
du chef de l'Etat en application de procédures particulières (comme
l'avaient déclaré les Présidents Giscard d'Estaing et Mitterrand le
18 novembre 1980 et le 24 juillet 1981).
Les lacunes de l'ancien décret n'étaient
pas comblées par celui du 10 décembre 1971 dont l'article 2 indiquait
: " le chef d'état-major général assure le commandement de l'ensemble
des opérations militaires, sous réserve des dispositions particulières
relatives à la force nucléaire stratégique et à l'armement atomique
tactique [ANT], pour lesquelles des procédures spéciales sont prévues
". Or, ces procédures n'existaient précisément pas, sauf pour les
FAS, le vide juridique étant masqué par le fait que les Présidents
de la République s'étaient reconnus compétents ! Elles ne l'étaient
pas non plus par le décret du 8 février 1982 abrogeant le décret précédent,
dont l'article 4 stipulait : " le chef d'état-major des armées ou
le chef d'état-major général s'il est nommé, assure le commandement
de l'ensemble des opérations militaires, sous réserve des dispositions
particulières relatives à la force nucléaire stratégique et à l'armement
nucléaire tactique ". Ce décret était lui aussi insuffisant puisqu'il
pouvait laisser croire que le CEMA était habilité à déclencher l'arme
nucléaire, ou du moins l'ANT, sauf dispositions particulières prises
par le Premier ministre, alors qu'il n'a jamais été question en France,
ni en théorie ni en pratique, de laisser l'armement atomique hors
du contrôle exclusif du chef de l'Etat et d'un commandement relevant
directement de lui placé hors de la hiérarchie militaire normale !
En dehors de cette prise en compte de l'évolution technique et de
quelques nuances rédactionnelles affirmant plus nettement le rôle
du Conseil de défense ou du Premier ministre, le nouveau texte marque
une permanence évidente. Permanence de la place exclusive du Président
de la République. Permanence de la répartition hiérarchique des tâches
entre le chef de l'Etat -président des conseils de défense et détenteur
du pouvoir de décision-, le Premier ministre -qui " prend les mesures
générales " d'application des décisions prises en ces conseils- et
le ministre des Armées -responsable " de la mise en condition d'emploi
" des forces nucléaires. Permanence des débats juridiques, enfin,
sur la constitutionnalité des deux décrets.
Le vrai changement -qui va dans le sens
d'un renforcement du pouvoir présidentiel- concerne la dévolution
des compétences : alors que le décret de 1964 était un décret simple,
celui de 1996 est un décret délibéré en Conseil des ministres. Cette
évolution, qu'on analysera plus loin, est loin d'être sans portée
depuis la jurisprudence Meyet31.
En effet, le Conseil d'Etat considère qu'un décret pris en Conseil
des ministres ne peut plus être modifié ou abrogé que par un autre
décret en Conseil des ministres, c'est-à-dire avec la signature -donc
l'accord32
- du Président de la République. Par conséquent, le décret du 12 juin
1996 ne pourra plus être modifié par un décret du Premier ministre
sans saisine du Conseil des ministres -comme c'était le cas jusqu'alors,
sans qu'aucun Premier ministre, y compris durant les cohabitations,
n'ait utilisé cette possibilité-, donc sans la signature du Président.
On mesure, à travers ce changement de régime juridique du texte, la
confirmation de la primauté présidentielle en matière nucléaire militaire33.
La mission, la composition et les conditions
d'engagement des forces nucléaires, arrêtées en Conseil de défense,
font l'objet de l'article 1er du décret, en 1964 (il s'agissait alors
des FAS) comme en 1996 (les FAS mais aussi la force océanique stratégique,
le GMS et les armes " préstratégiques "). Les attributions du Premier
ministre -il prend les mesures générales d'application des décisions
arrêtées en Conseil de défense-, du ministre des Armées -il est responsable
de l'organisation, de la gestion et de la mise en condition d'emploi
des forces et de leur infrastructure- et celles du commandant des
FAS -qui relevait directement du ministre des Armées- faisaient l'objet
de l'article 2 en 1964. En 1996, les attributions du Premier ministre
font également l'objet de l'article 2, mais celles du ministre des
Armées sont énoncées à l'article 3, et portent en outre sur l'organisation
et le fonctionnement des moyens, sur leur répartition entre les commandements
des forces nucléaires, sur les attributions opérationnelles de ces
commandements. En 1964, l'article 3 désignait le titulaire du commandement
des FAS, un officier général du corps des officiers de l'air en l'occurrence,
et l'article 4 fixait, dans le cadre des décisions prises en Conseil
de défense et des directives du ministre des Armées, les responsabilités
logistiques et opérationnelles de ce commandement. En 1996, l'article
3 établit, on l'a dit, les compétences du ministre des Armées, et
l'article 4 fixe, dans le cadre des décisions arrêtées en Conseil
de défense, des mesures générales prises par le Premier ministre et
des directives du ministre des Armées, les mêmes responsabilités logistiques
et opérationnelles du CEMA, tenu d'informer le ministre des Armées
et le Conseil de défense de l'état des moyens dont il est responsable.
Dans leur article 5, les deux textes stipulent que les commandants
des forces nucléaires sont chargés de l'exécution de l'ordre d'engagement
donné par le Président de la République, chef des armées et président
du Conseil de défense. Telle est la disposition litigieuse centrale.
L'article 6 du décret de 1964 prévoyait les moyens affectés au commandant
des FAS. L'article 6 du décret de 1996 charge les commandants des
forces nucléaires de la mise en condition opérationnelle des moyens
dont ils disposent et du suivi de l'exécution des missions. L'article
7 du décret de 1964 abrogeait le décret n°62-201 du 20 février 1962.
L'article 7 du décret de 1996 abroge le décret n°64-46 du 14 janvier
1964. Dans leur article 8, les deux textes chargent le Premier ministre
et le ministre des Armées de l'exécution du décret, signé, à chaque
fois, par le chef de l'Etat, le chef du gouvernement et le ministre
des Armées.
Le décret de 1964-1996 organise donc
le pouvoir nucléaire de la manière suivante. La mission, la gestion
et les conditions d'engagement des forces sont arrêtées en Conseil
de défense. L'ordre d'engagement est donné par le Président de la
République. L'exécution des opérations est assurée par les commandants
militaires des forces sous la responsabilité directe du Président.
On retrouve ainsi une répartition des responsabilités à la fois normative
-la prescription du chef de l'Etat- et exécutive -l'acte d'exécution
des commandements militaires. Cette chaîne principale de responsabilité
nucléaire est courte et allégée, puisque la décision du Président
prise en Conseil de défense ne transite que par les commandements
spécialisés avant de parvenir directement aux unités nucléaires elles-mêmes,
sans qu'aucun échelon ministériel ne s'intercale. Remarquons en outre
que le contrôle opérationnel appartient au chef de l'Etat, non au
chef d'état-major de la marine ou de l'armée de l'air dont relèvent
organiquement la FOST et les FAS (ou l'ex-GMS). Il y a donc un maillon
décisionnel, le Président de la République, et deux maillons d'exécution,
les commandements spécialisés (ALFOST et COFAS) d'une part, les commandants
des unités nucléaires d'autre part. Ce n'est que pour les forces nucléaires
tactiques que s'intercale entre le Président et les comandements spécialisés,
un maillon supplémentaire, celui du CEMA. On retrouve également une
procédure de mise à feu décidée par le seul chef de l'Etat, procédure
secrète, centralisée, codée et multi-optionnelle. Ces moyens conférés
au Président de la République répondent au souci de lui assurer la
permanence de son autorité sur les forces armées, ainsi que la possibilité
de faire exécuter sans délai ni obstacle sa décision d'engagement
des forces nucléaires, en mettant à sa disposition les outils de commandement
nécessaires.
L'apparition de l'arme nucléaire a conféré
aux pouvoirs du chef de l'Etat en matière de défense, une dimension
sans précédent, qui a entraîné, parallèlement à la réforme de 1962,
la présidentialisation du régime. Avec l'effacement du Premier ministre,
les prérogatives du Président de la République ne cesseront de s'élargir,
bien au-delà de ce que les textes officiels pouvaient laisser supposer,
le Conseil des ministres n'étant pratiquement jamais consulté sur
les décisions relevant de la politique de défense. Ainsi, le décret
du 10 décembre 1974 place le chef d'état-major général " sous l'autorité
du Président de la République et du gouvernement " (et non plus, comme
en 1959, du seul Premier ministre) en cas de mobilisation générale
ou de mise en garde. Le décret du 28 juillet 1975 relatif au règlement
de discipline générale dans les armées déclare : " conformément à
la constitution et à la loi, les armées relèvent du Président de la
République, chef des armées, garant de l'indépendance nationale et
de l'intégrité du territoire ". Le décret du 25 janvier 1978 stipule
que le SGDN reçoit ses directives du Président et du Premier ministre
(et non plus, comme en 1962, du seul Premier ministre). Le décret
du 8 février 1982 stipule que le CEMA assure le commandement des opérations
militaires sous l'autorité du Président et du gouvernement... La défense
repose donc sur l'exécutif34
dans le cadre de sa compétence générale de droit commun, selon un
dispositif institutionnel centré, y compris en période de cohabitation,
autour du chef de l'Etat, assisté de son état-major particulier (EMP)35,
du ministre des Armées, du CEMA et des conseils de défense, lesquels
associent le Premier ministre et le SGDN au processus décisionnel.
Enfin, le rôle du Parlement est des plus réduits, puisqu'il n'a qu'une
compétence d'attribution résiduelle, malgré les stipulations des articles
34 et 35 et le vote des crédits militaires, par l'intermédiaire duquel
il est associé aux grandes orientations de la politique de défense,
y compris nucléaire36.
Comment le droit de la défense nationale
s'agence-t'il ? On peut distinguer la politique générale de défense
(définie en Conseil des ministres), la direction d'ensemble de la
défense nationale (définie en Conseil de défense) et la direction
militaire de la défense ou la conduite des opérations militaires (définie
en Conseil de défense restreint). Par décantation des textes à travers
la pratique, on peut retenir trois instances de décision présidés
et dominés par le chef de l'Etat : le Conseil des ministres, dont
l'intervention en matière de défense consiste à arrêter les projets
de loi, à adopter ou modifier les décrets réglementaires pris en Conseil,
à procéder à la nomination des officiers généraux ou à décréter l'état
de siège (art.13, 36-1, 39-2 de la constitution) ; le Conseil de défense,
dénomination fixée par le décret du 14 janvier 1964, qui dispose d'une
compétence consultative auprès du Président de la République et qui
réunit le chef de l'Etat, le chef du gouvernement, les ministres des
Armées, des Affaires étrangères, de l'Intérieur, des Finances, des
responsables administratifs (secrétaire général de la Présidence de
la République, SGDN, délégué général de l'Armement) et militaires
(chef d'état-major particulier de la Présidence [CEMP], CEMA, chefs
d'état-major des trois armées) ; le Conseil de défense restreint,
qui sert à gérer les crises ou à conduire les opérations militaires
et qui compend le chef de l'Etat, le chef du gouvernement, les ministres
des Armées et des Affaires étrangères, le CEMP et le CEMA. A l'échelon
suprême se trouve donc le Président de la République, concentrant
la totalité du pouvoir nucléaire militaire, c'est-à-dire l'initiative,
la décision et l'exécution de l'usage des armes. A l'échelon directionnel
se trouve le Conseil de défense, puisque c'est dans ce cadre qu'est
prise la décision. A l'échelon logistique se trouvent le Premier ministre
et le ministre des Armées, chargés de veiller aux capacités d'action
exigées par la stratégie de dissuasion.
La défense nucléaire repose sur un appareil
institutionnel et normatif. Quelle en est le droit, l'organisation
et le fonctionnement ? Les sources formelles par lesquelles s'exprime
un jus decisionis sans précédent depuis l'avènement de la République,
sont la constitution de 1958 (art.5 et 15) et, surtout, le décret
du 12 juin 1996 (art.5) succédant à celui du 14 janvier 1964 (art.5).
La construction juridique qui réserve la totalité du pouvoir nucléaire
au chef de l'Etat résulte d'une pratique présidentielle greffée sur
un simple texte réglementaire. Les sources matérielles désignent une
doctrine stratégique, celle de la dissuasion, dont les exigences d'efficacité
et de crédibilité ont déterminé le contenu du droit d'exception qu'est
le droit de la défense nucléaire. Ce droit est planifié pour une situation
précise, celle relative au processus de mise à feu de l'arme, son
objet étant de fournir une structure d'action permanente au commandement
du Président. Le " principe du maître de l'atome "37
est l'expression juridique de ce modèle stratégique. Au pouvoir exorbitant
de l'Etat nucléaire, détenteur exclusif d'une puissance de destruction
absolue, s'ajoute le pouvoir exorbitant du chef de l'Etat nucléaire,
détenteur exclusif d'un pouvoir de commandement extraordinaire. L'Etat
nucléaire est donc doublement un cas-limite. Par son statut international
privilégié, il s'élève au-dessus des autres Etats. Par son organisation
dérogatoire du pouvoir, il dévoile une fonction gouvernementale au-dessus
de la légalité ordinaire.
L'insertion des impératifs de la défense
atomique dans le droit constitutionnel français posa la question du
titulaire du pouvoir de décision atomique. Il y a sur ce point une
logique du régime de l'Etat nucléaire dictant le choix entre les quatre
formules possibles : soit un pouvoir gouvernemental soumis à l'obligation
du vote d'une loi (c'est la formule de l'article 35, qui prévoit la
compétence du Parlement pour autoriser la déclaration de guerre) ;
soit un partage du pouvoir entre le Président de la République et
le Premier ministre, qui fait de l'accord des deux personnages la
condition obligatoire du droit d'arrêter la décision suprême (c'est
la formule de l'article 19, qui prévoit le contreseing du Premier
ministre aux actes du Président exercés en vertu de l'article 15)
; soit un pouvoir laissé à la discrétion du Président-" chef des armées
" (c'est la formule de l'article 5 du décret de 1964-1996, qui écarte
l'autorisation parlementaire et le contreseing ministériel) ; soit
un pouvoir laissé à la discrétion du Premier ministre-" responsable
de la défense nationale " (ce pourrait être la formule d'un décret
qui écarterait l'autorisation parlementaire et la signature présidentielle).
La possession de l'arme nucléaire par un Etat pose la question de
l'organisation de l'Etat et de la forme du régime politique autour
de cette arme. La logique de l'Etat nucléaire est celle de la personnalisation
du pouvoir et de la légalité d'exception réservée au seul chef politique
détenteur de la légitimité nationale. Commun aux cinq EDAN, l'institution
militaire nucléaire repose ainsi sur un monopole et une concentration
du pouvoir suprême chez une seule personne, chef de l'Etat (France,
Etats-Unis, Russie), chef de gouvernement (Grande-Bretagne) ou secrétaire
général du parti unique (Chine). Cette personne est investie, sans
contrôle ni contrepoids, du droit de décider du moment et de la modalité
d'emploi des armes atomiques. Elle dispose à cette fin d'un état-major
particulier veillant à l'acheminement de ses ordres, ainsi que de
forces dont le commandement est placé directement auprès d'elle hors
de la hiérarchie militaire. Cette personnalisation du pouvoir qu'entraîne
l'arme nucléaire -" l'utilisation des moyens de dissuasion ne peut
reposer que sur la décision d'un seul ", dit Valéry Giscard d'Estaing,
" la pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion, c'est moi ", dit
François Mitterrand, déclarations qui n'ont appelé aucun commentaire-
influe sur la nature de l'Etat et de la constitution. C'est ce qu'évoque
B. Chantebout38
et c'est ce que développe H. Pac dans ses travaux susmentionnés sur
" l'Etat nucléaire ".
L'apparition de l'arme atomique a abouti
à la concentration la plus extrême du pouvoir. Dans les EDAN, la décision
nucléaire appartient exclusivement à une seule personne, chef de l'Etat
ou chef de gouvernement, et toutes dispositions sont prises pour que
seule une décision personnelle du chef de l'Etat ou du chef de gouvernement
en autorise l'emploi. Que dans la réalité opérationnelle des armes
nucléaires, le poids des bureaucraties, les contraintes techniques,
les failles de tout dispositif de commandement, ne puissent être ignorés
et compliquent la simplicité des calculs abstraits, ne remet pas en
cause l'essentiel : le succès de la dissuasion nucléaire repose sur
la comparaison de la destruction (exorbitante) qui résulterait d'une
salve et du gain (limité) que représenterait une conquête. Pour que
ce calcul soit à la fois possible et crédible, il faut effectivement
ramener la complexité d'un Etat moderne à une totalité singulière,
à une sorte de " perfection de l'Etat-nation " (H. Pac), à une personne
habilitée qui prend la décision nucléaire, incarne alors l'Etat et
dispose d'un droit de vie et de mort sur la nation. Un tel mode d'organisation,
jugé inévitable dans la gestion des affaires nucléaires militaires,
est à l'exact opposé de toute l'évolution (pluraliste et rechtsstaatlich)
des sociétés occidentales contemporaines. Il suppose qu'il y ait au
sommet d'une pyramide hiérarchique un chef d'Etat ou de gouvernement,
que la communauté politique soit considérée comme un tout sanctuarisé,
que les menaces comme les enjeux soient clairement identifiés39.
Le régime juridico-administratif et
juridico-militaire engendré par la gérance de la stratégie de dissuasion,
se présente comme l'organisation du pouvoir que détient le Président
de la République d'engager l'arme atomique. Compte tenu des contraintes
techniques de la stratégie nucléaire, la jouissance effective de ce
pouvoir exige que soient garantis les moyens nécessaires à la concrétisation
de l'option décisionnelle du feu atomique40.
A cette préoccupation, dominée par le souci de mettre la puissance
nucléaire à l'abri des fluctuations politiques et d'assurer par là
sa permanente disponibilité, a répondu l'institutionnalisation du
pouvoir exceptionnel du Président selon une structure (EMPP, COFAS
et ALFOST) mise à l'écart de la hiérarchie administrative et militaire
ordinaire, et destinée à mettre en forme et en oeuvre la décision
présidentielle. A côté des services rattachés aux ministres de la
Défense (Délégation aux Affaires Stratégiques) et des Affaires étrangères
(Centre d'Analyse et de Prospective) ou au Premier ministre (SGDN,
Comité Inter-Ministériel du Renseignement, Direction Générale des
Services Extérieurs, Direction du Renseignement Militaire), dont la
Présidence de la République est en réalité l'interlocuteur privilégié,
se trouve donc l'EMPP, institution qui a acquis, en dehors de tout
texte, une place décisive dans le fonctionnement de la défense nucléaire.
Il suit pour le compte de l'Elysée les dossiers de défense traités
par le Premier ministre et le ministre des Armées. Il est chargé de
veiller à l'acheminement des ordres nucléaires entre la Présidence,
la Division nucléaire de l'EMA41,
le COFAS et l'ALFOST. Le PC Jupiter est le poste de commandement à
partir duquel le Président donnerait l'ordre de mise à feu : coeur
et siège du pouvoir nucléaire, il est rattaché au domicile officiel
du Président à l'Elysée, mais aussi " attaché à sa personne " en ce
sens que celui-ci dispose, lorsqu'il se déplace à l'étranger, d'un
PC léger déplaçable. Cette structure de commandement mobile allégée
lui permet d'être branché en permanence avec le PC Jupiter et ainsi
d'être en mesure d'ouvrir le feu nucléaire à partir de n'importe quel
endroit du monde. Concentrant toutes les prérogatives du pouvoir de
décision, échappant à tout contrôle, le PC Jupiter, par ses caractéristiques
techniques, est l'exemple le plus achevé d'un système de pouvoir absolu
: il fonctionne de manière complètement secrète, il obéit à un code
d'engagement informatique de chacune des têtes nucléaires42,
il place les commandants des forces nucléaires sous l'autorité directe
et exclusive du chef de l'Etat.
Cette mainmise du Président sur la direction
de la guerre nucléaire est la marque dominante du régime militaire
nucléaire, dérogatoire au régime ordinaire, puisqu'il est caractérisé
par la confusion de l'échelon de décision politique et de l'échelon
de commandement militaire, par la confusion de la direction de la
défense, de la direction de la guerre et de la direction des opérations.
Le statut prétorien des forces atomiques, investies du commandement
organique sous l'autorité du Conseil de défense et du commandement
opérationnel sous l'autorité du Président de la République, est lui
aussi dérogatoire au droit commun, à deux points de vue. Les commandements
militaires COFAS et ALFOST se situent hors de la hiérarchie militaire
normale puisqu'ils échappent à l'autorité du CEMA et relèvent directement
du Président au niveau opérationnel. Ils sont dépouillés d'une grande
partie de leurs attributs traditionnels du commandement puisqu'ils
sont réduits à la seule exécution matérielle des opérations, dont
la responsabilité revient au seul Président. Bref, les attributions
du chef de l'Etat, président du Conseil des ministres, chef des armées,
président du Conseil de défense et commandant des forces nucléaires,
sont beaucoup plus étendues que les textes constitutionnel et réglementaires
ne le laisseraient entendre, la segmentation des fonctions gouvernementales
et militaires se résolvant en un régime monocratique.
La fonction présidentielle est devenue
le symbole de l'identité nationale. Cette association intime de la
nation et de son chef provient de l'association intime de la décision
nucléaire et de la personne du Président de la République. Le régime
politico-juridique de l'Etat nucléaire, caractérisé par la suprématie
d'un chef d'Etat affranchi de tout contrôle, fait des formes constitutionnelles
une simple façade : la déclaration de guerre est de facto abolie ;
aucune instance extraprésidentielle de responsabilité politique ne
vient se mêler à la procédure de décision ; le peuple et ses représentants
ainsi que le gouvernement sont mis à l'écart et ne prennent aucune
part à l'exercice de la compétence nucléaire du Président. Bref, l'activité
atomique militaire est affranchie de toutes les règles de l'Etat de
droit. Le pouvoir nucléaire, parce qu'il semble impossible à enfermer
dans les habituelles contraintes juridiques, marque à cet égard une
rupture radicale. Il ne s'agit pas seulement de la ruse d'une autorité
présidentielle soucieuse d'étendre ses prérogatives en la dissimulant
sous les traits d'une nécessité stratégique. La corrélation établie
par la stratégie de dissuasion entre le pouvoir nucléaire et l'indépendance
nationale postule une " démocratie charismatique-plébiscitaire " comme
on n'en a jamais connu. En disposant d'une telle puissance destructive,
c'est un pouvoir de mort absolu que possède le chef politique, ou
plutôt, devrait-on dire, le souverain : celui-ci peut vouer à l'anéantissement
son peuple (et les autres)43.
Le nucléaire est devenu un élément constitutif
du régime politico-juridique. La défense a souvent été considérée
comme indifférente au régime. En fait, la réalité de la défense pèse
sur le régime : la défense nucléaire a soumis l'ordre constitutionnel
à son emprise, affectant ses équilibres internes et imposant la conduite
d'une politique déterminée. Ce n'est donc plus seulement la politique
de défense qui dépend du régime politique, c'est le régime politique
qui dépend de la politique de défense. L'atome est devenu une nouvelle
source du droit constitutionnel, dit M. Jacques Robert44,
la présidentialisation de la Vème République en témoigne. Au plan
constitutionnel, le problème des rapports entre défense et régime
est essentiellement celui de l'insertion des impératifs de la dissuasion
dans une démocratie parlementaire. La réalisation de l'arme nucléaire,
en raison de ses inévitables effets structuraux, a commandé en partie
l'introduction de la démocratie plébiscitaire, en 1962, et donc bouleversé
la constitution de 195845.
Cette constitution a établi le dualisme de l'exécutif et la responsabilité
devant l'Assemblée Nationale, en faisant du contreseing du Premier
ministre responsable (art.19 et 21-1) et de l'autorisation du Parlement
(art.35) la condition de la mise en oeuvre des pouvoirs présidentiels
en matière militaire (art.5 et 15). Mais la logique de la dissuasion
nucléaire -ou du moins une certaine logique invoquée de la dissuasion
nucléaire, élargie à la politique de défense voire à la politique
tout court de l'Etat- a favorisé l'institution du pouvoir discrétionnaire
(sans contreseing ministériel ni autorisation parlementaire) du Président
élu mais irresponsable (art.6 et 68).
Fallait-il plier les impératifs de la
dissuasion à la légalité constitutionnelle, ou devait-on adapter le
droit constitutionnel (en y dérogeant) à ces impératifs ? En fondant
l'indépendance nationale sur la puissance atomique, la Vème République
a non seulement soumis le libéralisme du régime parlementaire et l'universalisme
des droits de l'homme au nationalisme de la dissuasion nucléaire,
mais encore introduit un néo-absolutisme dans l'Etat. La guerre amène
la dictature, selon le mot de Lamartine, le nucléaire amènerait-il
la virtualité de la dictature ? Le modèle institutionnel atomique,
conférant un pouvoir exclusif à une autorité irresponsable et incontrôlée,
ne constitue-t-il pas une formidable violation d'un ordre juridique
basé sur la séparation des pouvoirs et la garantie des droits fondamentaux
?46
Ou bien, si l'on admet que la cause de la dissuasion s'est identifiée
à la cause de l'indépendance nationale, principe à valeur constitutionnelle,
est-il légitimé par le principe de conservation de l'Etat, base de
la souveraineté constituante de la nation, sur laquelle reposent à
leur tour l'organisation des pouvoirs publics et la garantie des droits
des personnes ?
1 JO,
15 juin 1996, p.8921.
2 JO,
19 janvier 1964, p.643.
3 Via
les concepts de " révolution dans les affaires militaires ", " dissuasion
conventionnelle-technologique " ou " défense antimissiles ".
4 De
l'avis général, la France doit conserver la capacité d'infliger des
dommages intolérables à tout agresseur mettant en jeu les intérêts vitaux
de la nation.
5 La
France adhéra en 1984 au protocole II sur les conflits armés non internationaux.
6 Control,
command, communications, intelligence.
7 Pays
détenteurs de facto d'armes atomiques.
8 Lors
de la dernière campagne des essais nucléaires français en 1995, sur
les dix membres de l'Union de l'Europe occidentale, huit s'étaient déclarés
contre ces essais, et sur les quinze membres de l'Union européenne,
treize, par leur vote aux Nations Unies, avaient pris position contre
la France ou s'étaient abstenus.
9 Cf.
Conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales : Eliminer
les armes nucléaires. Est-ce souhaitable ? Est-ce réalisable ?, Paris,
Transition, 1997 (1993), avant-propos d'A. Jacquard.
10
Cf. Rapport de la Commission de Canberra : Eliminer les armes nucléaires,
Paris, O. Jacob, 1997, intro. de M. Rocard.
11
Par une lettre du 27 août 1993 enregistrée au Greffe le 3 septembre,
le Directeur général de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a
communiqué au Greffier une décision de l'Assemblée tendant à soumettre
une question à la CIJ pour avis consultatif, question énoncée dans la
résolution adoptée le 14 mai 1993. Par des lettres en date du 14 et
du 20 septembre, le Greffier a notifié cette requête pour avis consultatif
aux Etats membres admis à ester devant la Cour. Par une ordonnance du
20 juin 1994, le Président de la Cour a fixé au 29 septembre 1994 la
date d'expiration du délai pour la présentation des exposés écrits,
et au 20 juin 1995 la date d'expiration du délai pour la présentation
d'observations écrites à ces exposés écrits. La Cour a décidé de tenir,
à compter du 30 octobre 1995, des audiences publiques, et jusqu'au 15
novembre, elle a entendu les exposés oraux de l'OMS et des Etats admis
à ester. Parallèlement, le Secrétaire général de l'ONU a comuniqué au
Greffier, le 19 décembre 1994, la résolution de l'Assemblée générale
des Nations Unies (AGNU) du 15 demandant avis consultatif à la CIJ.
Le 21, le Greffier a notifié la requête pour avis consultatif aux Etats
membres admis à ester devant la Cour ; par une ordonnance du 1er février
1995, celle-ci a fixé au 20 juin la date d'expiration du délai pour
la présentation des exposés écrits, et au 20 septembre la date d'expiration
du délai pour la présentation des observations écrites à ces exposés
écrits. Les deux demandes d'avis ainsi associées, la Cour a également
entendu du 30 octobre au 15 novembre les exposés oraux des Etats admis
à ester. Elle a enfin rendu ses deux avis, abondamment commentés, le
8 juillet 1996.
12 On remercie M. Pierre Lavaurs,
président de l'Association pour le désarmement nucléaire fondée le 22
février 1992, de nous avoir transmis le dossier constitué par : les
statuts de l'Association, les demandes adressées au Premier ministre
et au secrétaire général de la défense nationale (SGDN) les 23 février
et 30 septembre 1992, les requêtes en annulation pour excès de pouvoir
de la décision implicite de rejet du Premier ministre et du secrétaire
général survenue respectivement les 26 juin 1992 et 1er février 1993,
les observations du ministre de la Défense et du Premier ministre devant
le Conseil d'Etat les 6 août et 24 décembre 1993, les mémoires en réplique
et observations complémentaires des requérants du 19 janvier 1994, l'arrêt
du Conseil d'Etat du 8 décembre 1995 (section du contentieux, 7ème et
10ème sous-sections réunies, n°140747, 140748, 146703, 146704, Mlle
Lagumina rapp., M. Chantepy c. du g., séance du 13 novembre 1995 ; CE,
8 décembre 1995, Lavaurs et Association pour le désarmement nucléaire,
Rec., p.433). Cet arrêt n'a quasiment donné lieu à aucun commentaire.
13 Le Conseil
d'Etat (CE) a considéré comme un " acte de gouvernement ", donc insusceptible
de recours juridictionnel, la décision de faire procéder à des essais
nucléaires (CE, 29 septembre 1995, Association Greenpeace France, concl.
M. Marc SANSON, RDP, janvier-février 1996, pp.256-283 ; Chron. Jacques-Henri
STAHL et Didier CHAUVAUX, AJDA, octobre 1995, pp.684-688 ; notes de
jurisp. Wagdi SABETE, RDP, juillet-août 1996, pp.1162-1170). Par contre,
depuis l'adhésion de la France au traité d'interdiction des essais nucléaires,
le juge administratif pourrait contrôler l'application de ce traité,
s'il entrait en vigueur, puisque depuis l'arrêt Nicolo du 20 octobre
1989, il exige que les autorités administratives respectent les textes
internationaux, en écartant au besoin l'application d'une loi française
postérieure. La Commission européenne des droits de l'homme a rejeté
le 4 décembre 1995 la requête 28204/95, Tauira et autres, pour défaut
manifeste de fondement (défaut de preuve de la qualité de victime d'une
violation future des articles 2, 3, 8, 13, 14 de la Convention européenne
des droits de l'homme et de l'article 1 du Protocole n°1). Dans l'affaire
T-219/95, Danielsson et autres c./Commission (demande d'annulation par
le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes de la prise
de position de la Commission selon laquelle l'article 34 du traitée
CEEA n'était pas applicable aux essais français parce qu'ils ne comportaient
pas de risque perceptible d'exposition significative à des radiations),
la demande de sursis à exécution a été rejetée par l'ordonnance du Président
du TPI le 22 décembre 1995, le recours au principal apparaissant, à
première vue, manifestement irrecevable (Europe, mars 1996, n°98, p.7).
Par l'ordonnance du 22 septembre 1995, la CIJ n'a pas donné suite à
la " demande d'examen de la situation " réclamée le 21 août par la Nouvelle-Zélande
sur la base du paragraphe 63 de l'arrêt du 20 décembre 1974 relatif
aux Essais nucléaires (Recueil CIJ 1974, Nouvelle-Zélande c./France,
pp.457-478) : le fondement de l'arrêt rendu en 1974 étant l'engagement
pris par la France de ne plus procéder à des essais atmosphériques,
la reprise d'essais souterrains ne constituait pas une violation de
cet engagement, d'autant que, par ailleurs, la France s'était engagée,
après cette dernière série de tirs, à ne plus effectuer d'essais, ce
qui correspondait à l'objectif du demandeur et éteignait, à court terme,
le différend entre la France et la Nouvelle-Zélande. Sur les affaires
des essais nucléaires, cf. Marc GUILLAUME : " Les contentieux liés à
la reprise des essais nucléaires français ", AFDI, 1995, pp.895-928
; Vincent COUSSIRAT-COUSTERE : " La reprise des essais nucléaires français
devant la Cour internationale de Justice [observations sur l'ordonnance
du 22 septembre 1995] ", AFDI, 1995, pp.354-364 ; Luigi DANIELE : "
L'ordonnance sur la demande d'examen de la situation dans l'affaire
des essais nucléaires et le pouvoir de la Cour internationale de Justice
de régler sa propre procédure ", RGDIP, 1996-3, pp.653-669 ; Philippe
SANDS : " L'affaire des essais nucléaires II [Nouvelle-Zélande c. France]
: contribution de l'instance au droit international de l'environnement
", RGDIP, 1997-2, pp.447-474 ; Hubert THIERRY : " Les arrêts du 20 décembre
1974 et les relations de la France avec la Cour internationale de Justice
", RGDIP, 1974-1, pp.286-333 ; André COCATRE-ZILGIEN : " La France devant
ses juges. Remarques sur la 'compétence' de la Cour internationale de
Justice dans l'affaire des Essais nucléaires ", in Mélanges Waline,
Paris, LGDJ, 1974, pp.173-186 ; Serge SUR : " Les affaires des essais
nucléaires [Australie c. France, Nouvelle-Zélande c. France, CIJ - arrêts
du 20 décembre 1974] ", RGDIP, 1975-4, pp.972-1027).
14 Les Etats-Unis,
la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine ont signé, le 25
septembre 1996 à l'ONU, le TICEN, mais l'opposition de l'Inde reste
résolue. Or, l'entrée en vigueur du traité a pour condition sine qua
non sa ratification par les cinq puissances nucléaires officielles et
par les trois Etats " du seuil " que sont Israël, le Pakistan... et
l'Inde. Cf. Jaap RAMAKER : " Vers un traité d'interdiction des essais
nucléaires ", Revue de l'OTAN, novembre 1996, pp.26-30 ; chronique des
faits internationaux, RGDIP, 1996-4, p.190 ; Paul TAVERNIER : " L'adoption
du traité d'interdiction complète des essais nucléaires ", AFDI, 1996,
pp.118-136 ; Florent BAUDE : " La licéité des récents essais nucléaires
indiens et pakistanais ", Droit et Défense, n°2000/1, juin 2000, pp.21-31.
15 Licéité de
l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armée,
avis consultatif, Recueil CIJ 1996 [OMS] ; Avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l'emploi
d'armes nucléaires, note du Secrétaire général, AGNU, A/51/150, 19 juillet
1996 ; Documents d'Actualité Internationale n°17, 1er septembre 1996,
pp.693-697. Sur les commentaires de ces avis, cf. Marc PERRIN de BRICHAMBAUT
: " La question de la licéité des armes nucléaires, une dimension nouvelle
du débat sur la dissuasion ", RIS, 1996, n°21, pp.126-129, " Les avis
consultatifs rendus par la CIJ le 8 juillet 1996 sur la licéité de l'utilisation
des armes nucléaires dans un conflit armé (OMS) et sur la licéité de
la menace et de l'emploi d'armes nucléaires (AGNU) ", AFDI, 1996, pp.315-336
; V. COUSSIRAT-COUSTERE : " Armes nucléaires et droit international.
A propos des avis consultatifs du 8 juillet 1996 de la Cour internationale
de Justice ", AFDI, 1996, pp.337-356 ; David RUZIE : " La Cour internationale
de Justice et l'arme nucléaire ", Droit et Défense, 1996-3, pp.54-59
; Pierre-Marie MARTIN : " A propos d'une 'zone grise' du droit international
: les avis de la Cour internationale de Justice du 8 juillet 1996 ",
Les Petites Affiches, n°124, 14 octobre 1996, pp.4-9 ; Jean-Pierre QUENEUDEC
: " E.T. à la CIJ : méditations d'un extra-terrestre sur deux avis consultatifs
", RGDIP, 1996-4, pp.907- 914 ; Anne-Sophie MILLET : " Les avis consultatifs
de la Cour internationale de Justice du 8 juillet 1996 ", RGDIP, 1997-1,
pp.141-175 ; Hélène RUIZ FABRI, Jean-Marc SOREL : " Chronique de jurisprudence
de la Cour internationale de Justice ", Journal du droit international,
1997-1, pp.869-883 ; numéro spécial de la Revue internationale de la
Croix-Rouge : L'avis consultatif de la Cour internationale de Justice
concernant la licéité de l'arme nucléaire et le droit international
humanitaire, n°823, janvier-février 1997 ; Marie-Pierre LANFRANCHI,
Théodore CHRISTAKIS : La licéité de l'emploi d'armes nucléaires devant
la Cour internationale de Justice. Analyse et documents, Paris/Aix-Marseille
III, Economica/CERIC, 1997, préf. S. Sur ; Serge SUR (dir.) : Le droit
international des armes nucléaires, Paris, Pedone, 1998 ; Philippe BRETTON
: " Convergences et divergences relatives à la licéité de l'arme nucléaire
", in Mélanges Philippe Ardant, Paris, LGDJ, 1999, pp.147-160.
16
La présomption de légalité permet à l'autorité d'exiger l'obéissance
préalable aux actes ayant force de loi en cas de controverse sur leur
validité, jusqu'à leur éventuelle annulation selon les procédures prévues.
17
Par le privilège de l'exécution d'office, l'autorité se trouve dispensée
de s'adresser au juge pour vérifier la légalité de l'acte, au contraire
du particulier s'il veut la contester.
18
Cf. Marcel WALINE : " Défense du positivisme juridique ", Archives de
philosophie du droit et de sociologie juridique, n°1-2, 1939, pp.83-96
; Denis LEVY : " De l'idée de coutume constitutionnelle à l'esquisse
d'une théorie des sources du droit constitutionnel et de leur sanction
", Michel VIRALLY : " Notes sur la validité du droit et son fondement
(norme fondamentale hypothétique et droit international) ", in Mélanges
Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, pp.81-90, 453-467 ; Paul AMSELEK : "
Réflexions critiques autour de la conception kelsénienne de l'ordre
juridique ", RDP, janvier-février 1978, pp.5-19 ; Michel TROPER : "
Contribution à une critique de la conception kelsénienne de la science
du droit ", in Mélanges Chaumont, Paris, Pédone, 1984, pp.527-539 ;
Stéphane RIALS : " Supraconstitutionnalité et systématicité du droit
", Archives de philosophie du droit, t.31, 1986, pp.57-76 ; Marie-Anne
COHENDET : La cohabitation. Leçons d'une expérience, Paris, PUF, 1993,
pp.9-335.
19
Rappelons que durant la guerre froide les Etats-Unis et l'URSS ont fabriqué
respectivement 70000 et 45000 têtes nucléaires. En 1990, les arsenaux
des cinq EDAN de jure étaient composés comme suit : USA, 26000 armes
atomiques ; URSS, 33000 ; GB, 300 ; France, 500 ; RPC, 430. En 2000,
ces arsenaux auraient évolué de la façon suivante : USA, 8300 ; Russie,
10400 ; GB, 185 ; France, 350 ; RPC, 370. Quant à Israël, l'Inde et
le Pakistan, les trois EDAN de facto, leurs arsenaux comprendraient
respectivement une centaine de têtes nucléaires, quelques dizaines,
quelques unités. Chiffres tirés de Marcel DUVAL : " Quel avenir pour
le nucléaire ? ", RDN, janvier 2000, pp.72-91.
20
Alors même que coexistent dans le monde cinq Etats nucléaires de jure
(Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine), trois Etats nucléaires
de facto (Israël, Inde, Pakistan), un Etat nucléaire " virtuel " (Japon),
dix Etats nucléaires " potentiels " (Allemagne, Suède, Italie, Canada,
Australie, Corée du Sud, Taïwan, Afrique du Sud, Brésil, Argentine),
trois Etats " proliférants " (Corée du Nord, Irak, Iran) et, jusqu'à
la fin 1996, trois Etats nucléaires " provisoires " (Ukraine, Kazakhstan,
Biélorussie).
21
Negative security assurances ou NSA.
22
Cf. la résolution 255 du 19 juin 1968, succédant à la déclaration anglo-soviéto-américaine
du 17 juin, ainsi que la résolution 984 du 11 avril 1995.
23
Positive security assurances ou PSA.
24
Après le retrait du service ou le démantèlement des missiles du plateau
d'Albion, des Pluton et Hadès, des Mirage IVP, des quatre SNLE Redoutable,
Terrible, Foudroyant et Tonnant (L'Indomptable et L'Inflexible doivent
être retirés, l'un à la mi-2004, l'autre en 2008), l'arsenal nucléaire
français se présente comme suit. 1) La FOST comprend quatre SNLE : L'Indomptable,
L'Inflexible, Le Triomphant NG, Le Téméraire NG. Le Vigilant NG sera
mis en service en juillet 2004 en remplacement de L'Indomptable. Un
quatrième SNLE commandé en 2000 et annoncée pour juillet 2008 devrait
remplacer L'Inflexible. Chacun des quatre SNLE aujourd'hui en service
emporte 16 missiles (M4B pour ceux d'ancienne génération, M45 pour ceux
de nouvelle génération), équipés de 96 têtes (TN71 pour les anciens,
d'une puissance de 14,4 Mt et d'une portée de 4000 km, TN75 pour les
nouveaux d'une puissance de 9,6 Mt et d'une portée de 4000 km). En décembre
2003, les missiles M45 auront remplacé les derniers M4 B. En 2008, le
M51, d'une portée de 6000 km, sera substitué au M45. En décembre 2003,
les têtes TN75, plus légères et plus furtives, auront remplacé les dernières
TN71. La TNO (tête nucléaire océanique) est prévue pour 2015. En tout,
au 1er janvier 2000, 288 têtes nucléaires, d'une puissance de 38,4 Mt.
2) La FAS comprend : trois escadrons de Mirage 2000N emportant 60 ASMP
équipés de 42 têtes (TN81, d'une puissance de 12,6 Mt et d'une portée
de 2750 km) ; deux flottilles de Super-Etendard emportant 24 ASMP équipés
de 20 têtes (TN81, d'une puissance de 6 Mt et d'une portée de 80 à 500
km) ; quatorze avions ravitailleurs (onze C135 FR et trois KC135). En
remplacement du Super-Etendard/ ASMP, le Rafale marine/ASMP NG entrera
en service sur le porte-avions Charles de Gaulle en 2008, le nouvel
ASMP étant équipé d'une nouvelle tête, la TNA (tête nucléaire aéroportée).
Au total, l'arsenal français comprend 350 têtes nucléaires, d'une puissance
de 57 Mt.
25
Cf. le Livre blanc sur la défense de 1994.
26
L'évolution de la recherche technologique, de l'orientation stratégique
voire du droit international n'en est pas moins significative, même
si elle reste encore en filigrane. Un consensus fragile s'était formé
entre partisans et aversaires du nucléaire sur la " stricte suffisance
", considérée comme une première étape du désarmement nucléaire ou comme
un moindre mal. Mais la " stricte suffisance ", en tant qu'elle est
liée à la doctrine de la dissuasion par la capacité de représailles
anticités en second, est concurrencée par la " modernisation suffisante
", liée à une doctrine d'emploi antiforces ou contre-C4IL conforme au
jus in bello. Par exemple, le TICEN arrête et interdit les explosions
expérimentales, mais pas les autres techniques d'amélioration des armes
nucléaires. Le rapport d'André Gsponer et Jean-Pierre Hurni : Les principes
physiques des explosifs thermonucléaires, la fusion par confinement
inertiel, et la quête des armes nucléaires de quatrième génération,
est à cet égard très intéressant (compte-rendu in Damoclès, n°76, 1/1998,
p.9). A travers l'analyse technique et juridique des expériences autorisées
par le TICEN (les micro-explosions inférieures à 1,8 kg de TNT, qui
ne sont pas considérées comme un essai nucléaire et qui ne sont donc
pas interdites) et celle des applications militaires de la fusion par
confinement inertiel ou autres technologies d'énergies pulsées, les
auteurs montrent que les cinq EDAN mais aussi l'Allemagne et le Japon,
se sont engagés dans la recherche et le développement des armes nucléaires
de nouvelle génération, à savoir les explosifs de relativement faible
puissance (de 1 à 100t de TNT, soit l'intervalle séparant aujourd'hui
les armes conventionnelles des armes atomiques) qui ne sauraient être
qualifiées d'armes de destruction massive. D'un point de vue stratégique,
le type de recherche étudié par Gsponer et Hurni confirme que les grandes
puissances s'orientent vers l'acquisition d'armes " tactiques " ou "
du champ de bataille ", alors qu'elles ne disposent à l'heure actuelle
que d'armes " stratégiques " ou " de représailles ", puisqu'il n'existe
pas de bombes atomiques dont la puissance soit inférieure à celle d'Hiroshima.
D'ores et déjà, l'emploi du nucléaire se manifeste avec les munitions
à uranium appauvri. Les futures armes en préparation seraient destinées
à des frappes contre-C4IL, selon le jargon militaire. En clair, elles
viseraient et pourraient détruire les centres de commandement politique
et militaire des Rogue States. Elles autoriseraient le " tyrannicide
" à l'échelon international, en conformité avec l'évolution du jus ad
bellum (le bellum justum offensivum au nom des " droits de l'homme "),
avec le jus in bello (l'immunité des populations civiles urbaines) et
avec l'évolution du jus in bello (l'abandon du principe d'immunité des
dirigeants en temps de guerre).
27
Cf. les textes et déclarations cités dans la requête déposée par M.
P. Lavaurs et l'Association pour le désarmement nucléaire : Général
GALLOIS : Stratégie de l'âge nucléaire, Paris, Calmann-Lévy, 1960 ;
le Livre blanc sur la défense de 1972 ; Andrée MARTIN-PANNETIER : La
défense de la France, indépendance et solidarité, Paris, Ch. Lavauzelle,
1985 ; Général COPEL : La puisance de la liberté, Paris, Lieu Commun,
1985 ; La défense de la France, publiée en 1988 par le Ministère des
Armées ; les déclarations des Présidents Charles de Gaulle, Valéry Giscard
d'Estaing, du Premier ministre Raymond Barre. Cf. aussi L'aventure de
la bombe. De Gaulle et la dissuasion nucléaire (1958-1969), Paris, Plon,
1985 (recueil) ; La politique de défense de la France. Textes et documents
présentés par Dominique DAVID, Paris, FEDN, 1989 ; le numéro 53 de la
revue Stratégique, 1992-1, consacré à La stratégie française, les articles
pp.7 à 197 ; M. DUVAL, Dominique MONGIN : Histoire des forces nucléaires
françaises depuis 1945, Paris, PUF, QSJ, 1993 ; M. DUVAL : " Perspectives
d'avenir de la dissuasion française ", RDN, décembre 1996, pp.7-28 ;
Bruno TERTRAIS : L'arme nucléaire après la guerre froide. L'Alliance
atlantique, l'Europe et l'avenir de la dissuasion, Paris, CREST/Economica,
1994 ; Cahiers du CREST : Demain, l'ombre portée de l'arme nucléaire...
'L'arme nucléaire française en question', Paris, CREST, 1996 ; RIS,
n°21, printemps 1996, dossier, pp.79-160.
28
Le régime des installations nucléaires de base secrètes (INBS) confirme
ce principe. L'installation nucléaire de base (INB) désigne : les réacteurs
nucléaires, à l'exception de ceux qui font partie d'un moyen de transport
; les accélérateurs de particules ; les usines de séparation, de fabrication
ou de transformation de substances radioactives ; les installations
destinées au stockage, au dépôt et à l'utilisation de substances radioactives.
Lorsqu'une installation nucléaire est classée en INB, elle est soumise
au système de contrôle fixé par le décret n°63-1228 du 11 décembre 1963.
Ce même décret stipule dans son article 17 que " les installations nucléaires
de base intéressant la défense nationale, classées secrètes par le Premier
ministre sur proposition du ministre des armées et du ministre chargé
de l'énergie atomique, cessent d'être soumises, à compter de la décision
de classement, aux dispositions du présent décret ". Le nouveau décret
(présidentiel) n°99-873 du 11 octobre 1999 relatif aux INBS, précise
que la décision de classement en INBS appartient au Premier ministre
et que l'ensemble des responsabilités sur ces installations relève du
ministre de la Défense ou du ministre de l'Industrie. De plus, la définition
de l'INBS est plus large que celle de l'INB puisque " font partie de
l'installation nucléaire de base secrète l'ensemble des installations
et équipements, nucléaires ou non, compris dans le périmètre défini
par la décision de classement ". Cf. Observatoire des armes nucléaires
françaises : " Les déchets nucléaires militaires ", fiche VI, cahier
n°2, mars 2000.
29
Décrets n°62-808 relatif à l'organisation de la défense nationale, n°62-809
fixant les attributions du secrétariat général de la défense nationale,
n°62-811 fixant les attributions du ministre des Armées, n°62-812 fixant
les attributions du chef d'état-major des Armées (CEMA).
30
Cf. Bernard CHANTEBOUT : L'organisation générale de la défense nationale
en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (thèse), Paris,
LGDJ, 1967, pp.191-228, 429-447 ; " Constitution et défense nationale
", Droit et Défense, n°99/2, décembre 1999, pp.5-9.
31
CE, 10 septembre 1992, Meyet, Rec., p.331, Chron. Christine MAUGÜE et
Rémy SCHWARTZ, AJDA, octobre 1992, pp.643-648.
32
Si l'on considère que la signature du Président, exigée par l'article
13-1 de la constitution, est la marque d'un pouvoir réel, ce que confirme
la pratique, et non d'un pouvoir nominal.
33
Cf. Jean-Pierre CAMBY : " Un nouveau décret sur l'engagement des forces
nucléaires ", RDP, septembre-octobre 1996, pp.1237-1241 ; La Semaine
Juridique, chronique d'actualité du droit administratif par Jacques
PETIT, I, 4017 ; B. CHANTEBOUT : " A propos du décret du 12 juin 1996
sur les forces nucléaires ", Droit et Défense, n°96/3, 1996-3, pp.40-41.
34
On remarque, avec le président Luchaire, que l'expression " pouvoir
exécutif " n'apparaît pas dans la constitution de 1958, l'article 21-1
ne parlant que de " l'exécution des lois " par le Premier ministre.
De fait, cette expression est impropre, comme le disaient Raymond Carré
de Malberg ou Maurice Hauriou : c'est de " pouvoir gouvernemental "
qu'il faudrait parler, la compétence d'exécuter les lois n'étant qu'une
partie de ce pouvoir général. Il n'y a d'" exécution " que de la loi,
mais le gouvernement ne se borne pas à " exécuter la loi ", dont il
a l'initiative et la maîtrise de la confection, il dirige et conduit
la politique de la nation. Il en va de même dans toutes les constitutions
démocratiques, pas seulement en France depuis 1958. Parallèlement, le
" pouvoir législatif " n'est qu'un aspect du " pouvoir parlementaire
", qui comprend en outre le pouvoir budgétaire et le pouvoir de contrôle
du gouvernement. On emploiera donc le terme " exécutif " par commodité,
en ayant à l'esprit la réserve énoncée dans cette note.
35
Structure légère d'une rare stabilité, puisqu'elle comprend depuis sa
création six officiers représentant les trois armées sous l'autorité
d'un général d'armée.
36
Les assemblées ont approuvé les programmes nucléaires militaires depuis
1960, même si une fraction résolue des parlementaires s'y opposa de
1959 à 1978. La loi de programme n°60-1305 du 8 décembre 1960 relative
aux équipements militaires de la période 1960-1964, fut adoptée après
des débats très difficiles : le Sénat rejeta le projet de loi deux fois
à une forte majorité et le gouvernement Debré dut engager sa responsabilité
devant l'Assemblée Nationale à trois reprises (le 24 octobre, le 22
novembre et le 6 décembre 1960) sur la base de l'article 49-3, après
trois motions de censure qui recueillirent respectivement 107, 214 et
215 voix (majorité 277 voix). La loi de programme n°64-1270 du 23 décembre
1964 relative aux équipements militaires de la période 1965-1970, fut
adoptée également dans des conditions difficiles : le projet de loi
fut rejeté par le Sénat lors des deux lectures, mais approuvé par l'Assemblée
Nationale à chaque lecture, puis définitivement le 16 décembre 1964
avec une large majorité (majorité devenue confortable depuis les élections
législatives provoquées de novembre 1962). Les lois de programme suivantes
furent adoptées sans difficultés majeures : l'opposition de gauche était
minoritaire au Sénat comme à l'Assemblée jusqu'en 1981, le centre et
le parti socialiste se rallièrent progressivement à la force de frappe.
37
Selon la judicieuse formule de M. Henri Pac. Cf. Politologie de la défense
nationale, Paris, Masson, 1986 ; Le droit de la défense nucléaire, Paris,
PUF, QSJ, 1989 ; " L'Etat nucléaire ", Droits n°16, 1992, pp.93-100
; Droit et politiques nucléaires, Paris, PUF, 1994 ; " Dissuasion et
droit ", Droit et Défense, 1995-1, pp.34-38. Textes de référence. Cf.
aussi Françoise DAUCE : " Puissance nucléaire et pouvoir politique en
Russie ", Les Champs de Mars, Cahiers du Centre d'études en sciences
sociales de la défense, Paris, La Documentation Française, 1/1999, pp.31-52.
38
Op. cit., p.441.
39
Jean-Marie GUEHENNO : L'avenir de la liberté. La démocratie dans la
mondialisation, Paris, Flammarion, 1999, pp.210-211
40
Sur la chaîne de commandement, contrôle, communications et transmissions
des forces nucléaires françaises, cf. Bruno BARILLOT : Audit atomique.
Le coût de l'arsenal nucléaire français 1945-2010, Lyon, CDRPC, 1999,
" Contrôler la bombe ", pp.223-255.
41
Depuis 1994, la nouvelle organisation de l'état-major des armées dispose
d'une Division des forces nucléaires, dont les missions s'étendent à
l'ensemble du nucléaire militaire : élaboration des plans d'emploi du
feu nucléaire (notamment le ciblage), exécution du feu sur ordre du
Président, étude sur les armements, mise en service des systèmes d'armes,
définition des besoins militaires et instruction.
42
Le ministre des Armées, par dérogation aux procédures constitutionnellement
prévues et à l'ordre du protocole, remet directement de la main à la
main le chiffre codé permettant au Président de la République de déclencher
le feu nucléaire.
43
Cf. Alain BROSSAT : L'épreuve du désastre. Le XXème siècle et les camps,
Paris, A. Michel, 1996, pp.147-148, 219 ; Raymond ARON : " Macht, Power,
Puissance. Prose démocratique ou poésie démoniaque ? " (1964), in Etudes
politiques, Paris, Gallimard, 1972, pp.171-194, pp.187-188, 194.
44
" Libertés publiques et défense ", RDP, septembre-octobre 1977, pp.935-959,
p.941. " On s'en remet à l'homme qu'on a élu au suffrage universel ",
écrit le futur membre du Conseil constitutionnel, qui s'inquiète de
la concentration des pouvoirs militaires.
45
D'après Ph. Bretton, " c'est précisément l'accession de la France au
rang de puissance nucléaire qui incita le fondateur de la Vème République,
en 1962, à effectuer une révision constitutionnelle du mode d'élection
du chef de l'Etat, désormais élu au suffrage universel direct, afin
qu'il bénéficie d'une légitimité populaire indispensable pour celui
qui, en cas de crise grave, aurait en dernier ressort à prendre la décision
de déclencher le feu nucléaire " (art. cit., p.159).
46
Quand on songe aux conséquences que peut avoir une décision prise par
un homme, écrivait R. Aron (art. cit., pp.188, 194), la peur qu'éprouvent
les individus face au Pouvoir prend une dimension nouvelle. Comment
dissiper cette peur sinon en refusant à un homme seul le droit et la
capacité de prendre une décision dont les conséquences affecteraient
l'existence de millions de personnes ?
* Le présent texte est l'introduction
d'un rapport de David CUMIN intitulé "l'arme nucléaire
française devant le droit international et le droit constitutionnel".
Contactez-nous par e-mail si vous désirez obtenir une version
intégrale du rapport de 130 pages. Retour
au début du texte